Proposition de reconstitution d'un costume de brodeuse vers 1200.

A la charnière entre les XIIe et XIIIe siècles, on connait peu de choses du statut des artisans en France. Mais il semblerait que leur statut subisse une profonde mutation. Petit à petit, les métiers sortent du cadre privé des ateliers seigneuriaux vers la sphère publique. La fin de cette mutation se retranscrit au travers du dépôt du statut des métiers par le préfet de Paris en 1268.

Le costume présenté est celui d'une brodeuse qui dirige un atelier travaillant essentiellement pour une maison noble. En plus du paiement de leurs ouvrages, les artisans travaillant au service de ces maisons perçoivent des gratifications pécuniaires ou les matières premières (étoffes, fourrures ...) nécessaires à la confection d'une garde-robe à la hauteur de leur rang. Les étoffes étant très chères il faudrait un peu moins d'un an de salaire à notre chef d'atelier pour s'offrir de quoi tailler une robe dans un drap de laine d'assez bonne qualité (et plus d'un an de salaire pour une ouvrière). On comprend alors mieux pourquoi les nobles habillaient leurs gens et pourquoi les vêtements entraient dans les inventaires et donations après décès. La robe de notre brodeuse est donc taillée dans un drap offert par son employeur.

Le costume est conforme à la mode de l'époque, telle que décrite dans les textes courtois, qui nous renseignent sur les usages des vêtements et éclairent l'iconographie en animant, en quelque sorte, les images figées que nous pouvons observer. Les textes des moralistes sont également étudiés de sorte à avoir un second éclairage sur la question.

Ainsi, le costume se compose d'une robe de fin sergé de laine lacée sur les côtés, d'une chemise de lin blanc finement plissée, d'une ceinture de laine tissée. Deux coiffes complètent cette tenue, l'une plus formelle et classique, l'autre en soie, comme les coquettes de l'époque.

photo-01.jpg La brodeuse à son atelier.
Crédit photo : Yann Kervran

Une cotte de menu haubergié.

Li ami et les amies
Orent ganz et souquanies
Et coteles haubergies
Et coiffes a denz pincies.

amis et amies / portaient des gants et des habits de fêtes / et des cotes de haubergié / et des coiffes plissées.
Pastourelle de Guillaume le Vinier

Cuvert ert d'un mantel de menu haubergié,

Il est couvert d'un manteau de fin haubergié
la vie de Thomas Becket, 1174

Le tissu dans lequel est taillée la cotte est un fin sergé de laine à motifs de chevrons (ou arrêtes de poissons). A la faveur du développement des métiers à tisser à basse lisses à plusieurs cadres, ce type de drap connait une diffusion plus grande durant le XIIe siècle et rencontre un très grand succès.

Le nom haubergié, utilisé dans les comptes royaux parmi les achats de diverses étoffes de laine, est à rapprocher du haubert (armure de maille) et de ses représentations contemporaines. En effet, il est souvent figuré par des motifs en chevrons ou en losanges.[1] L'usage d'un terme s'inspirant du motif créé par l'armure de tissage est fréquent à cette époque. C'est aussi le cas des soieries d'Areste (arista : barbe d'épi, arête de poisson), rappelant les motifs en chevrons de l'étoffe.[2] [3]

Le prix de ce type d'étoffe peut varier énormément. Au début du XIIIe siècle, le prix oscille autour de 6£ la pièce mais peut monter jusqu'à 10£. La différence s'explique par la complexité du tissage, la finesse de l'étoffe et surtout la teinture utilisée (les plus chères étant celles teintes au kermès).

Dans notre cas, si l'étoffe est de bonne qualité et assez fine, la teinture n'est pas des plus riche. La teinte orangée peut s'obtenir par épuisement de bains de garance. C'est à dire que le fil est plongé dans une cuve qui a déjà été utilisée et dont les principes colorants sont bien moins concentrés.

Étant donné la richesse de l'étoffe pour une brodeuse, la cotte est taillée de sorte à optimiser l'étoffe et certaines pièces du patron sont morcelées.

Une cotte ajustée et lacée.

si forment lace et lois
Les braz et les costeiz k'a grant paine soi ploie.

Les bras et les flancs étaient lacés et liés si fortement, qu'ils ne pouvaient se plier qu'avec grande difficulté.
Poème moral 1200

Estroitement estoit vestue

Elle était vêtue étroitement
Eneas, 1160

La cotte est taillée conformément à la mode de l'époque, c'est à dire très près du corps grâce essentiellement à un laçage sur les côtés. En effet, les robes ajustée de l'époque semblent présenter encore des coupes géométriques[4] bien que les formes évoluent, comme pour les emmanchures de la tunique Moselund par exemple.

photo-02.jpg La robe est ajustée grâce à un laçage sur les côtés. De nombreux plis se forment sur les hanches.
Crédit photo : Yann Kervran

Ele ert vestue en itel guise
de chainse blanc e de chemise,
que tuit li costé li pareient,
ki de dous parz lacié esteient.

Elle était vêtue d'un chainse blanc et d'une chemise, lacés des deux côtés pour laisser apparaître ses flancs.
lai de Lanval, les lais de marie de France

Un bliaut,
N'ert pas furez, trop fist grant chaut ...
Pur le grant chaut avalé out,
De ses espalles son mantel,
Et li cors pareit lunc t bel;
La char blanche par mi les laz,
Pareit des costez e des braz:

un bliaut / qui n'était pas doublé car le temps était très chaud / ... A cause de la chaleur elle avait ôté / son manteau de ses épaules, / et son corps apparaissait beau et allongé, / la chair blanche de ses hanches et de ses bras / paraissait à travers les lacets
Hipomedon, 1175-90

Le laçage est réalisé en appliquant une cordelette de chaque côté de l'ouverture de sorte à pouvoir y passer un lacet. Ce type de laçage est celui que l'on retrouve sur la robe d'Aliénor de Castille (Fouilles de Las Huelgas). Il est également représenté dès la mi-XIIe siècle sur la statue du portail de la cathédrale d'Angers, ou certains bliauts dans l'Hortus deliciarum.

Détail de la statue du portail ouest de la Cathédrale d'Angers. On distingue un laçage latéral réalisé au moyen d'un ruban appliqué de part et d'autre de l'ouverture.

La cotte est fortement plissée sur les côtés.
Sur les enluminures et la statuaire de l'époque on voit de nombreux vêtements présentant un fort plissage. Celui-ci est parfois circonscrit aux côtés du vêtement. Les textes évoquent également cette mode par les termes « froncir » ou « rider ». Il semble qu'il existe déjà à l'époque plusieurs manières d'obtenir ce résultat.

Pour cette cotte, le plissage est simplement créé par serrage du lacet qui passe au dessus du surplus de tissu au niveau des hanches. Cependant, plusieurs pièces archéologiques montrant des techniques différentes nous sont parvenues : la tunique Moselund sur laquelle les plis semblent cousus un à un par une couture glissée invisible, l'aube conservée à Utrecht et celle de Thomas Becket (fin du XIIe siècle) présentent un plissage dont la technique est une variante du smock.

Des broderie saracinoises

photo-03.jpg Détail de la broderie. On distingue le motif en chevrons du tissage sergé de la laine dans laquelle est confectionnée la robe.

La mode de porter des bandes décorées sur les biceps s'inspire probablement des bandes à tiraz en vogue moyen-orient.[5] Cette mode est introduite en France via l'Italie où des ateliers de contrefaçons imitant les broderies orientales sont créés à cette époque à Gène et Lucques sous l'égide des négociants Italiens.[6] Inspirées des techniques et des motifs orientaux mais adaptées aux matériaux locaux, les broderies représentant des arbres sont réalisées en laine au point de boulogne.

Les romans[7] décrivent des femmes et des jeunes filles occidentales occupée à broder des œuvres saracinoises (aumônières, brodeuries, passementeries). Ceci nous renseigne sur le fait que saracinois désignerait plus un type de décors ou des techniques importés du monde Musulman que la provenance de l'objet.

Une ceinture décorée.

Savez vous de quele feture
Cele ceinture estoit ouvrée ?
El estoit de fin or broudée
a poissonez et a oisiaus.

S'avez-vous de quelle manière sa ceinture était ornée ? Elle était finement brodée à l'or de motifs de poissons et d'oiseaux.
Le roman de la rose, Jean Renart, 1210

La ceinture est en fine laine. Sans boucle ni mordant, elle est simplement nouée, conformément à certaines représentations de ceinture féminines de l'époque.

photo-04.jpg Détail du motif de la ceinture.

Inspiré de la ceinture brochée de St Edme de Canterbury (1170-1240) représentant des poissons, le motif est réalisé suivant une technique de tissage aux cartons plus simple et dans des matériaux moins coûteux.

La bande présente une séparation en 3 brins sur chacune de ses extrémités. On observe ce genre de terminaison sur les représentations de ceintures féminines ainsi que sur certaines pièces originales. Des perles en os décorent les extrémités.

La mise en carte a été réalisée avec l'aide du logiciel guntramGTT.

Les coiffes

La dameisele fu trecie
A .II. tresces toutes noires …

la demoiselle fut coiffée de 2 tresses toutes noires.
Perceval, 1180

Dans la sphère privée, la coiffe se limite à une ou deux tresses.

s'ot chapelet a la maniere
as puceles de son païs,
s'ot flocelez aval le vis
de ses biaus chevex ondoianz.

Elle portait un chapel à la manière des jeunes filles de son pays, et ses beaux cheveux ondulés tombaient en boucles le long de son visage.
Le roman de la rose, Jean Renart, 1210

Li chapelez li fu aidanz,
qui li fu un poi loig des iex ;

Le chapelet posé loin des yeux ajoutait à son charme
Le roman de la rose, Jean Renart, 1210

On peut orner le front d'un galon sur lequel on peut épingler un voile.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 0008, f. 041v - vue 3 On voit sur cette scènes, des femmes, portant des tresses, celle qui est debout porte un très mince galon sur le front.

La guimpe

Que qu'ele se ceint et lia
de sa guimple et de sa ceinture,

Pendant qu'elle fixait sa guimple et nouait sa ceinture,
Le roman de la rose, Jean Renart, 1210

Elle peut également porter une coiffe plus simple et encore très commune : la guimpe. En effet, dans les textes, la guimpe semble encore représenter la coiffe la plus formelle qu'il convient d'afficher dans certaines occasions :

photo-05.jpg Au travail, la guimpe est nouée de sorte à ne pas gêner ses mouvements.
Crédit photo : Yann Kervran


Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 0010, f. 078 - vue 3

La guimpe, à cette époque, semble être une bande de tissu blanc nouée autour de la tête. Le croisement entre les enluminures et quelques extraits littéraires nous éclairent sur le fait que cette coiffe peut se porter nouée (bendée) (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 0010, f. 078 : Judith et Olopherne) ou dénouée, simplement drapée sur la tête (BnF Département des manuscrits Latin 15675 f° 4.jpg).

photo-06.jpg En allant déposer quelques cierges de cire à l'église, la brodeuse a juste drapé la guimpe sur sa tête et autour de son cou, tout comme les élégantes, ce qui lui permet à la fois de présenter dignement et de se protéger de la fraicheur de cette fin de journée.
Crédit photo : Yann Kervran


BnF Département des manuscrits Latin 15675 f° 4

Notes

[1] E. Carus-Wilson, Haberget : a medieval Textile Conundrum, Society for medieval archaeology, 1968

[2] Donald King, Two medieval textils terms : drap d'Ache, drap de l'arrest, Techniques & culture, juil.-déc. 1999, 34 : Soieries médiévales.

[3] Sophie Desrosiers, Drap d'Areste (II), Techniques & culture, juil.-déc. 1999, 34 : Soieries médiévales.

[4] Christina Frieder Waugh, « Well-cut through the body : » fitted clothing in twelth-century Europe, DRESS, 1999, vol 26

[5] Jennifer Margaret Harris, THE DEVELOPMENT OF ROMANESQUE-BYZANTINE ELEMENTS IN FRENCH AND ENGLISH DRESS 1050-1180

[6] David Jacoby, Silk economoics and Cross-cultural Artistic Interaction : Byzantium, the Muslim World, and the Christian West, 2004, Dumbarton Oaks Papers 58, pp. 197-240.

[7] exemple : le roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Jean Renard, 1210

Haut de page