Un costume de "fausse" courtisane vers 1250

Le costume présenté, daté vers 1250 est une proposition de reconstitution d'une imitation de costume noble. Le courtisan à cette époque est une personne évoluant dans la cour, il n'a pas le sens péjoratif que nous pouvons lui donner aujourd'hui. Il s'agit donc d'un costume de fausse courtisane dans la mesure où il s'agit d'une tentative de montrer par une richesse démesurée un rang supérieur dans la société.

En effet, la grande ampleur de la cotte, sa traine et ses décorations en font un vêtement plutôt exceptionnel. Cependant, le tissu et certaines matières utilisées (perles en nacre et non perles naturelles) montrent que la réalisation est au dessus des moyens réels du porteur.

Très fort marqueur social, le costume pouvait en effet essayer de faire passer son porteur pour plus riche qu'il n'était (et cette tendance a largement perduré au cours des siècles, bien au delà du Moyen-âge) c'est à ce genre de comportement que nous devons beaucoup de lois somptuaires : règlements qui déterminent ce qu'il est bienséant de porter selon son rang, sa richesse. Si les questions de morale liées au costume nous sont parvenus et que la bataille des représentations semble avoir été gagnée par ces moralistes, le fait que certaines garde-robes aient contenu plus que nécessaire semble indéniable. Les plus difficile lorsque l'on tente de proposer une reconstitution est de déterminer dans quelle mesure le vêtement ne respectait pas les codes et où précisément se situaient les infractions.

La pièce principale de ce costume, la cotte a été réalisée d'après la tunique de Ste Claire dans une approche d'étude et de compréhension des artefacts qui nous sont parvenus.

coud.jpg
Tenue portée lors de la reconstitution de la bataille de Muret

Tunique de Ste Claire

ste-claire-autel.jpg
Panneau peint représentant Ste Claire, daté de 1280.

La tunique est réalisée d'après les relevés de la tunique de Ste Claire. Conservée à Assise, cette tunique est réalisée dans une laine brune. C'est la robe d'une clarisse, ordre pauvre fondé par Ste Claire. Cependant Ste Claire était issue de famille noble. Par sa forme, sa tunique ample te longue reste conforme aux canons de l'époque et aux représentations. Elle est donc intéressante dans l'étude des attributs qui rendent un costume non conforme à son rang.

xti_0838p.jpg
Tunique et manteau de Ste Claire conservés à Assise.

Tissu

La cotte est réalisée dans une soie de très basse qualité et doublée de lin. La robe est réalisée selon les canons de mode les plus élégants mais dans un tissu qui laisse apparaître une richesse moindre.

La question de la présence de soieries de basse qualité, notamment fabriquée avec les déchets des cocons, en occident est récurrente. Voici un petit point sur les références que j'ai pu réunir à ce sujet :

La première mention de soie tissée à partir de déchets de filature est byzantine et date du Xe (un texte décrivant le détail du trousseau d'une jeune femme modeste) elle se nomme koukoularikon.

Avant le XIIIe siècle, les soieries étaient importées. Mais, loin de se limiter aux étoffes les plus chères, le commerce de la soie était très répandu et très lucratif. En effet, facile à transporter (ça ne casse pas), les auteurs ayant étudié ces échanges laissent entendre que les chargements contenaient plusieurs qualités de soies ainsi que de la soie brute (elle était filée et tissée en France avant d'y être cultivée).[1]

Au XIIIe siècle, la fabrication de la soie s'implante en occident. D'abord en Italie et en Espagne puis assez rapidement dans le sud de la France. Il semblerait qu'à cette période, le Languedoc soit spécialisé dans la production de soieries de moindre qualité[2]. Une relique datée du XIIIe siècle, provenant de Comps-sur Artuby (Var) est une étoffe tissée avec les déchets des cocons de soie[3].

Pour conclure à partir de ces exemples de fragments de soie tissée à partir de déchets, la dispersion dans le temps (10eme au 14eme), les régions (Byzance, Venise, Provence, Anatolie) et des milieux sociaux et culturel différents tendraient à prouver que les soies de second choix sont assez largement diffusées.[4]

Coupe

macie-01.jpg
Bible de Maciejowki, f. 29R : David ramène la tête de Goliath est accueilli par des femmes chantant.

La cotte a été taillée d'après le relevé de la tunique de Ste Claire proposé par Marc Carlson. Il s'agit d'une robe, très longue, ample et présentant 6 godets latéraux (3 de chaque coté) :

  • le premier partant de l'épaule sur l'arrière de la robe,
  • le deuxième s'insérant sous le gousset de la manche,
  • le troisième devant démarre sous l'emmanchure.

Les godets latéraux sont cousus de sorte à projeter le volume et l'ampleur vers l'arrière : droit fil contre biais, le biais étant toujours cousu vers l'arrière du vêtement. Tout comme sur la tunique de Ste Élisabeth, aucun godet central n'est présent. Cependant, avec 6 godets latéraux, l'ampleur est largement suffisante.

Conformément à certaines représentation (voir bible de Maciejowski) la cotte présente une traine de 60cm environ sur l'arrière. Elle est le reflet de la mode de l'époque qui affiche sa richesse au travers des grandes quantités de tissu nécessaire à la réalisation d'une pièce de vêtement. Cette extravagance est fortement dénoncée et sera bien souvent règlementée au travers des lois somptuaires.[5]

L'encolure est ronde, sans amigaut.

Les manches sont évasée à l'emmanchure et très resserrées aux poignets : il faut les coudre directement sur la personne pour pouvoir les refermer. Cette particularité des robes du XIIIe siècle nous est parvenue au travers de textes littéraires. On observe cependant des boutons aux poignets sur certaines représentations.

Le patron des manches en 4 parties est très économique en tissu : une parie pour le corps principal, qui se resserre aux poignets, deux triangles ajoutés en haut de la manche pour donner son ampleur à l'emmanchure et se termine sous le coude pour y donner l'aisance. Un petit gousset s'insérant dans un des godet latéral permet, non pas d'augmenter l'aisance comme sur certains modèles (celle-ci n'en n'a pas besoin), mais de gommer la jonction manche-corps : la manche s'insère ainsi dans le corps de la robe sans démarcation nette.

deff.jpg
Cotte portée pour jouer de la musique : on observe que la manche s'intègre au corps sans démarcation nette. Techniquement, la manche s'insère au niveau de la ceinture.

Décorations

broderie.jpg
Détail des broderies : les bandes de taffetas sont appliquée sur la robe au point de boulogne réalisé en soie blanche.

Des bandes brodées sont ajoutées à l'encolure et aux poignets. Ces bandes sont en taffetas de soie brodé de soie et de perles en nacre.

Ces broderies peuvent sembler excessives pour la période, l'iconographie du costume féminin au milieu du XIIIe siècle n'en montrant que très rarement. L'usage de broderies voyantes est même moqué dans certaines textes[6]. Cependant, des représentations[7] nous laissent deviner quelques décorations sur les vêtements de la noblesse, mais uniquement aux poignets. L'ajout d'une bande brodée à l'encolure témoigne ici de la volonté d'afficher plus de richesse que les codes en vigueurs ne le suppose. Quoi qu'il en soit le choix de l'emplacement de ces bandes brodées : aux poignets et au col est fait dans le but de souligner et mettent en valeur deux éléments de la féminité et de la sexualisation du costume XIIIe féminin : les mains et le cou.[8]

finition-bas-temp-01.JPG Bas de la robe : le cordon tissé à même se positionne sur la tranche de la robe réalisant la jointure entre le dessus et la doublure.

Les ourlets de la cotte sont remplacés par un cordon de soie tissé à même. Ce type de finition, très fréquent sur les vêtements de l'époque ajoute une touche décorative ainsi qu'une finition très propre à l'ensemble : le bas n'est ni alourdi ni épaissi par un ourlet cousu.

Coiffe

La coiffe est un touret en lin. Assez bas et sans plis, il est porté sur une simple tresse. Le touret se porte de différente manières à l'époque. Si le touret en lui même est un marqueur social, la manière de le porter l'est également. La barbette (bande de tissu passant sous le menton) il est probablement une coquetterie de femme cherchant à masquer les marques de l'âge (double menton ...), de même qu'un bonnet blanc plus covrant peut être porté sur une chevelure grisonnante.

Le touret est une coiffe noble ou riche. L'exemple illustrant le mieux ceci est la vie de St Julien l'Hospitalier sur les vitraux de la Cathédrale de Chartres : D'extraction noble, la mère puis la femme de St Julien portent le touret, jusqu'à ce qu'il fasse pénitence, vœux de pauvreté, sa femme porte alors une guimpe.

Ici, il est porté sur cheveux tressés. En effet sur les scènes de fêtes et de musique, les femmes (probablement jeunes) représentées sont coiffées mais la chevelure n'est pas dissimulée.

Conclusion et perspectives

Si, dans le texte du conte moral Helmbrecht le fermier, le costume décrit est décoré de manière quasi invraisemblable :

Jamais sur une caboche paysanne on ne vit coiffure plus riche que celle d'Helmbrecht. Près de l'oreille droite du rustre, était brodé sur le bonnet le siège subi par Troie quand le téméraire Pâris eut ravi l'épouse des Grecs. ... et devant, sur les épaules, on y voyait une danse de broderie de soie brillante. Et ailleurs encore une floraison d'alouettes et d'éperviers d'or ....

il ne faut pour autant pas prendre cette description au pied de la lettre. On le voit, loin de proposer un vêtement tout à fait excentrique et très éloigné des représentations qui nous sont parvenues, c'est dans les détails (emplacement, nature des décorations, qualité du tissu) qu'il faut chercher les marques sociales du vêtement et leurs transgressions.

Ce costume est à mettre en perspective avec un autre costume mi-XIIIe, de la noblesse, respectant les codes qui sera présenté ultérieurement. Enfin, pour compléter cette série de costumes féminins du XIIIe siècle n’hésitez à lire l'article sur la mode féminine au XIIIe siècle, qui propose un tour d'horizon de la mode et les difficultés à proposer des reconstitution cohérentes et complète de costumes.

Notes

[1] David Jacoby, Silk economoics and Cross-cultural Artistic Interaction : Byzantium, the Muslim World, and the Christian West, 2004, Dumbarton Oaks Papers 58, pp. 197-240.

[2] S. Desrosiers ; Draps d'Areste (II). Extension de la classification, comparaisons et lieux de fabrication ; Techniques & culture, juil.-déc. 1999, 34 : Soieries médiévales.

[3] D. Cardon ; Silk for saint Andrew : newly discovered relic wrappings from mountain churches in the south of France ; Textilien aus Archäologie und Geschichte , pp. 209-213 ; 2003.

[4] D. Jacoby ; voir ci-dessus.

[5] S. G. Heller ; Sumptuary Legislation in France, Languedoc and Italy.

[6] par exemple dans Helmbrecht le fermier, conte moral ; G. Bartholeyns ; L'enjeu du vêtement au Moyen âge ; Le corps et sa parure ; SISMEL - EDIZIONI DEL GALLUZO ; 2007.

[7] La statue en pied polychrome d'Ute de Ballenstedt, Cathédrale de Naumburg ou le portrait de Bernard V de Moreuil dans le livre d'heures de Yolande de Soisson ; The Pierpont Morgan Library, ms. 729, fol. I v. ou encore le portrait de Blanche de Castille dans la bible moalisée, The pierpont Morgan Library, MS M.240 (fol. 8)

[8] C. Casagrande, S. Vecchio ; Histoire des péchés capitaux au Moyen-âge ; Aubier ; 2003.

Haut de page