Une coiffe XIIe et XIIIe : la guimpe nouée.

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La guimpe (ginple, gimple) nouée (ou touaille -toelle-) est une coiffe drapée et entortillée plusieurs fois autour de la tête qui passe sous le menton. Elle est réalisée dans une grande bande de tissu fin. Elle était utilisée par les paysannes et les servantes pour les travaux physiques mais également pour les voyages. On l'observe sur les sources du troisième quart du XIIe siècle au premier quart XIVe.

Si la guimpe désigne, au cours de la période médiévale y compris au XIIIe siècle différents types de coiffes, nous allons nous intéresser à un seul type d'entre elles : la guimpe liée ou nouée.

Cette coiffe est représentée sur des personnages de la fin du XIIe siècle (bible de Manerius) à la mi-XIIIe (vitraux de la cathédrale de Chartres et bible de Maciejowski).

Dans cette première partie, j'évoquerai la coiffe dans les sources, dans une seconde partie, je présenterai ma routine simple qui permet de draper cette coiffe facilement même sans miroir.

Guimpe : de l'allemand wimpel : bande de tissu (aujourd'hui : fanion).

Touaille : du francique thwahlja serviette.

La lecture des textes des XIIe et XIIIe siècles, nous révèle que la guimpe peut être portée nouée[1].

Une scène clé du roman de la rose ou de Guillaume de Dole (Jean Renart, 1210) est particulièrement révélatrice car l'auteur change de terme pour désigner la coiffe de l'Héroïne entre le début et la fin de la scène (quelques pages plus loin) :

Liénor, s’apprête à rencontrer le roi afin de laver son honneur et confondre son accusateur. Elle s'habille avec soin dans ce but, la touche finale étant la guimpe nouée et la ceinture :

Por sa gorge parembelir
mist un fermail a a chemise,
ouvré par grande maiestrise,
riche d'or et bel de feture,
basset, et plain doi d'overture,
et si que la poitrine blanche
assez plus n'est noif sor branche
li parut, qui mout l'amenda.
Que q'ele se ceint et lia
de sa guimple et de sa ceinture,
dont li ors de la ferreüre
valoit plus de.xx.v. livres,
li vallés, qui n'est fous ne ivres,
ne s'est en nul lieu delaiez.

...

Pendant son trajet, elle croise de nombreux badauds éblouis par sa beauté, encore un détail sur sa coiffe qui découvre son visage :

Et savez qui mout l'abeli ?
qu'el ot descovert son visage.

...

Enfin, la rencontre avec le roi, en ôtant son manteau, elle accroche par erreur sa coiffe dévoilant ainsi sa chevelure et sa coiffure. Ici la coiffe est appelé touaille :

Por l'usage, qui tex estoit,
ele prent dou mantel l'atache ;
que qu'el l'oste dou col et sache,
si l'enconbrasi li mantiaus
qu'ele hurte as premiers cretiaus
qu'ele avoit fet en sa touaille.

Si dans ce cas, l'emploi du mot touaille est probablement lié au besoin de rime (le vers suivant se termine par ventaille), on ne peut pas s'empêcher de noter le glissement d'un terme à l'autre entre le début et la fin de la scène.

Jean de Joinville, dans ses chroniques, décrit avec un certain dédain pour ceux-ci, la touaille portée par les bédouins, elle est enturbannée et, de la même manière que dans la coiffe qui nous intéresse, un pan passe sous le menton :

Presque tuit sont vestu de seurpeliz, aussi comme li prestre; de touailles sont entorteillées leur testes, qui leur vont par desous le menton: dont laides gens et hydeuses sont à regarder, car li chevel des testes et des barbes sont tuit noir.

Dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, la guimpe est utilisée pour le voyage car elle permet de se couvrir le visage afin de le protéger des éléments (mais aussi de la vue !) :

Et la dame par grant veisdie,
Por ce qu'ele ne voloit mie
Qu'il la coneüst ne veïst,
Aussi con s'ele le feïst
Por le hasle et por la poudriere,
Mist sa guinple devant sa chiere.

Dans Le Conte du Graal, Chrétien de Troyes, la guimpe de la jeune fille qui est utilisée pour faire des bandages :

Puis n’avroit garde de morir,
ma dameisele, vostre amis,
qui ceste herbe li avroit mis
sor ses plaies et bien liee.
Mes une guinple deliee
por bien lier i covandroit.
— Je vos baillerai orandroit,
fet cele cui il n’est pas grief,
celi meïsmes de mon chief,
qu’autre n’ai ge ci aportee. »
La guinple a de son chief ostee,
qui mout fu deliee et blanche ;
et messire Gauvains la tranche,
qu’ainsi fere li covenoit,
et de l’erbe que il tenoit
sor totes ses plaies li lie,
et la pucele li aïe
au mialz qu’el set et qu’ele puet.

Les représentations de l'époque nous renseignent sur ce que peuvent être ces différentes façons de porter la coiffe :

Une représentation intéressante afin de cerner l'usage du port de cette coiffe se trouve dans les vitraux du chœur de la cathédrale de Chartres :.

On peut se référer à Jacques de Voragine dans La Légende Dorée (1266)[2] pour plus de détails sur la légende de St Julien l'Hospitalier.

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Sur le vitrail de la Cathédrale de Chartres, la femme de St Julien porte un touret pendant toute la période antérieure à leur fuite. A partir du moment de leur pénitence, elle porte la guimpe nouée.

Le Retour du Croisé, 3e quart du XIIe siècle © Musée Lorrain, Nancy : Le_retour_du_croise-Prieure_de_Belval.jpg Le_retour_du_Croise_8866.jpg

Bible de Manerius, Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 0009, f. 125v, 1185 man-01.jpg

Maciejowski Bible ; MS M.638 ; France, Paris 1240s

-fol 17v : Boaz rencontre Ruth et des fermiers. mac-f17v.jpg -fol4r : Rebebeca présente son Fils Jacob à son père. mac-f4r.jpg

Gustorf, Eglise Ste Marie de l'assomption, choeur, les 3 femmes au tombeau, 13es : mi00750b06a.jpg mi00750b08a.jpg

Images de la vie du Christ et des saints ; Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, NAF 16251 : ConsulterElementNum.jpg

Une coiffe similaire semble être portée par les femmes dans ce manuscrit du début du XIVe siècle : « GUILLAUME DE MACHAU(T), Nouviaus dis amoureus ». volume 1 ; Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 22545 ; fol 72r. ms-fr-22545.png

Notes

[1] Voir à ce sujet l'article sur ma proposition de reconstitution d'un costume de brodeuse fin XIIe siècle.

[2] Il y eut encore un autre saint Julien. Celui-là, qui était de famille noble, se trouvait un jour à la chasse, dans sa jeunesse, et poursuivait un cerf, lorsque soudain le cerf, sur un signe de Dieu, se retourna vers lui et lui dit : « Comment oses-tu me poursuivre, toi qui est destiné à être l’assassin de ton père et de ta mère ? » Et le jeune homme, à ces paroles, fut si épouvanté, que, pour empêcher la prédiction du cerf de se réaliser, il s’éloigna secrètement, traversa d’immenses régions, et parvint enfin dans un royaume où il entra au service du roi. Il se conduisit avec tant d’éclat dans la guerre et dans la paix que le roi le créa chevalier, et lui donna pour femme la veuve d’un très riche seigneur. Cependant, les parents de Julien, désolés de sa disparition, erraient à travers le monde, en quête de leur fils, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent, un jour, au château qui était maintenant la demeure de Julien. Mais celui-ci, par hasard, n’était pas au château, et ce fut sa femme qui reçut les deux voyageurs. Et quand ils lui eurent raconté toute leur histoire, elle comprit qu’ils étaient les parents de son mari : car celui-ci, sans doute, lui avait souvent parlé d’eux. Aussi leur fit-elle l’accueil le plus tendre, par amour pour son mari ; et elle les fit coucher dans son propre lit. Le lendemain matin, pendant qu’elle était à l’église, voici que Julien rentra. Il s’approcha du lit pour réveiller sa femme ; et, voyant deux personnes qui dormaient sous les draps, il crut que c’était sa femme avec un amant. Sans rien dire, il tira son épée et tua les deux dormeurs. Puis, sortant de la maison, il rencontra sa femme qui revenait de l’église, et il lui demanda, stupéfait, qui étaient les deux personnes qui dormaient dans son lit. Et sa femme lui répondit : « Ce sont tes parents, qui longtemps t’ont cherché ! Je les ai fait coucher dans notre lit. » Ce qu’entendant, Julien pensa mourir de chagrin. Il fondit en larmes, et dit : « Que vais-je devenir, misérable que je suis ? Ce sont mes chers parents que j’ai tués ! J’ai accompli la prédiction du cerf, pour avoir essayé d’y échapper ! Adieu donc, ma douce petite sœur, car je n’aurai plus de repos jusqu’à ce que je sache que Dieu a agréé mon repentir ! » Mais elle : « Ne crois pas, mon frère bien-aimé, que je te laisse partir sans moi ! De même que j’ai participé à ta joie, je participerai à tes douleurs ! » Ainsi, s’enfuyant ensemble, ils allèrent demeurer au bord d’un grand fleuve dont la traversée était pleine de périls ; et là, tout en faisant pénitence, ils transportaient d’une rive à l’autre ceux qui voulaient traverser le fleuve. Et ils les recueillaient dans un hôpital qu’ils avaient construit. Et, longtemps après, par une nuit glaciale, Julien, qui s’était couché accablé de fatigue, entendit la voix plaintive d’un étranger qui lui demandait de lui faire traverser le fleuve. Aussitôt, se levant, il courut vers l’étranger, à demi mort de froid ; et il l’emporta dans sa maison, et alluma un grand feu pour le réchauffer. Puis, le voyant toujours glacé, il le porta dans son lit et le couvrit avec soin. Or voici que cet étranger, qui était rongé de lèpre et répugnant à voir, se transforma en un ange éclatant de lumière. Et tout en s’élevant dans les airs il dit à son hôte : « Julien, le Seigneur m’a envoyé vers toi pour t’apprendre que ton repentir a été agréé, et que ta femme et toi pourrez bientôt vous reposer en Dieu. » Et l’ange disparut, et, peu de temps après, Julien et sa femme s’endormirent dans le Seigneur, pleins d’aumônes et de bonnes œuvres.

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