L'embu : de la 3D dans l'art du tailleur médiéval

embu.jpg Fig 1 : La tunique de Kragelund (Viborg, 1045-1155) et le pourpoint de Charles de Blois (Musée des tissus de Lyon, 1364). Deux vêtements très différents avec 300 ans d'écart qui ont pourtant une technique en commun. J'ai déjà parlé de l'embu à différentes reprises dans mes articles évoquant la tunique 11ème.

Définition

Pour rappel, l'embu définit une longueur supplémentaire ajoutée à une couture d'assemblage : lorsque l'on assemble deux tissus dont l'un est plus long que l'autre sans faire de plis ni de fronces. Il doit être absorbé dans la couture et résorbé au fer à repasser. Aujourd'hui, l'embu est utilisé par les tailleurs sur les têtes de manche : la longueur de la tête de manche doit être plus longue de quelques centimètres que celle de l'emmanchure. Ça permet de créer le bombé naturel du bras.

Cette différence de longueur va permettre de créer du volume dans le vêtement.

Certains couturiers peuvent être confrontés à l'embu de manière fortuite et malheureuse lorsque, par exemple, on coud deux pans dont un dans le droit fil et un dans le biais et que l'on ne prend pas garde à ne pas étirer le biais lors de l'assemblage. Dans ce cas, si l'embu n'est pas résorbable au fer, il faut recommencer la couture !

L'embu dans la construction de vêtements médiévaux

Revenons à nos deux vêtements médiévaux. L'embu dans ces deux cas, n'est pas situé au niveau de la tête de manche (les têtes de manches de ces deux vêtements sont quasiment droites) mais au niveau du coude, créant ainsi l'aisance nécessaire pour loger l'articulation et couder la manche de manière plus ou moins prononcée.

La tunique de Kragelund

kragelund-1.JPG Fig. 2 : La tunique de Kragelund. Elle semble être une simple tunique dite en « T » ne présentant que des pièces géométriques simples et pourtant l'étude de sa construction révèle un détail intéressant.

Dans le cas de la tunique de Kragelund, il est créé grâce à un godet ayant la forme d'un triangle rectangle ajouté au niveau de l'avant bras. Un petit rappel de géométrie de niveau collège, avec le théorème de Pythagore, nous indique que l’hypoténuse est toujours plus longue que chacun des deux autre côtés. Nous allons donc avoir une mesure plus longue que l'autre au niveau de l'avant bras qui va créer une sorte de poche : la manche ne peut pas se mettre à plat.

kragelun-2.JPG Fig. 3 : Schéma de la manche de la tunique. En rouge, l’hypoténuse du godet de la manche qui créée l'embu. (Attention : ces schémas ne sont pas des patrons reproductibles par agrandissement homothétique).

Le Pourpoint de Charles de Blois

cdb-1.JPG Fig. 4 : Le pourpoint de Charles de Blois. Vêtement élaboré avec un bel exemple de manches dites « à grandes assiettes ». Ici, c'est le coude qui nous intéresse. (Musée des tissus de Lyon)

En ce qui concerne le pourpoint de Charles de Blois, l'embu se situe dans une couture horizontale au dessus du coude. Le bas de la partie de l'avant bras est légèrement courbé vers l'intérieur tandis que le haut de l'avant-bras est très creusé. Les deux parties n'ont pas la même longueur, nous avons donc un embu. Celui-ci crée un volume au niveau du coude.

cdb-2.JPG Fig.5 : Schéma du coude de la manche du pourpoint de Charles de Blois. La courbe de la couture horizontale du coude étant plus marquée sur la partie basse, la longueur est plus longue et va créer l'embu (en rouge). (Attention : ces schémas ne sont pas des patrons reproductibles par agrandissement homothétique).

Si ces deux vêtements ont un embu très marqué et évident, ils ne sont pas les seuls vêtements de l'époque médiévale qui nous soient parvenus qui présentent cette caractéristique.

Autres exemples : les fouilles d'Herjolfnes

En effet, dans les fouilles du Groenland, certaines manches sont asymétriques. C'est cette asymétrie qui va créer la différence de longueur entre les deux côtés de la manche et donner un rendu 3D à la manche (ces manches ne peuvent pas se mettre à plat).

norlund-42-1.JPG Fig. 6 : La tunique Norlund n°42

Pour exemple, la tunique Norlund n°42, datée 1380-1400 présente une manche asymétrique : un côté de la manche est coupé droit, tandis que l'autre présente une cassure au niveau du coude. La manche, une fois montée, va présenter une légère poche au niveau du coude et sera légèrement coudée.

norlun-42-2.JPG Fig. 7 : Schéma de la manche de la tunique Norlund n°42 : la cassure de la manche va ajouter une longueur supplémentaire d'un côté de la couture et créer l'embu. Si La différence de longueur est à peine perceptible à cette échelle, la différence est bien présente sur la manche aux bonnes dimensions. (Attention : ces schémas ne sont pas des patrons reproductibles par agrandissement homothétique).

norlund-63.JPG Fig. 8 : La tunique Norlund n°63. Un manteau ouvert sur le devant.

La tunique Norlund n°63, datée 1280-1400, présente le même godet de manche que la tunique de Kragelund.

Conclusion

Du vêtement apparemment le plus simple à celui le plus élaboré, on a comme dénominateur commun l'utilisation d'une technique de couture, l'embu, utilisé afin de donner au vêtement ampleur et volume. Ceci nous rappelle que, tout au long du moyen-âge, la coupe et la couture ne sont pas aussi frustres que ce que l'on peu penser, y compris sur les vêtements d'apparence la plus ordinaire.

Bibliographie

Else Ostergard, woven into the earth, Textiles from norse Greenland, Aarhusuniversity press 2004.
Marie Schoefer, Le pourpoint de Charles de Blois, Remarques faites au cours de sa restauration, Histoire et images Médiévales thématique n°6, 2006.

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