Définitions
Le mot chausses (ou chauce) est attesté depuis 1150. Avant, le terme employé est le latin vulgaire calcea (800), féminin tiré du latin calceus, mot désignant une chaussure d'abord portée par les rois et les patriciens, et probablement d'origine étrusque. Calcea a évolué de bonne heure vers le sens de guêtre couvrant à la fois le pied et la jambe
, également attesté par l'italien calza et l'espagnol calza, bas
[1].
Avant le doublet
Aux XIIe et XIIIe siècles, les chausses couvrent l'ensemble de la jambe jusqu'à mi-cuisse ou jusqu'en haut de celle-ci.
Tant que la cotte est le vêtement de dessus principal (et même après l'apparition du doublet dans la garde-robe, pour ceux qui portent encore la cotte), les chausses séparées, s'attachent à des cordons fixés au braiel[2].
Sur cette représentation de paysans portant uniquement leurs braies, on voit que les cordons pendent du braiel. Ils peuvent servir soit pour remonter le bas des braies soit pour attacher les chausses :
Martyrologe-Obituaire de Saint-Germain-des-Prés ; 1250-1290 ; Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Latin 12834 ; fol.64v.
Le carnet de Villard de Honnecourt ; Folio 28 - Lutteurs ; BNF.
Sur ce dessin de Villard de Honnecourt représentant 2 lutteurs, on remarque que le cordon est attaché à une sorte de bouton dans la pointe de la chausse. Ce bouton est probablement une sphère (ou une perle) en bois attachée sur l'arrière de la chausse. Le nœud est réalisé sur l'endroit en passant le cordon, autour de la boule ainsi formée par la sphère et le tissu. Ce système permet d'éviter de fragiliser la pointe de la chausse en passant le cordon au travers d'un œillet.
Même représentation au XIVe siècle sur une des planches du traité d'anatomie de Guido da Vigevano :
Anathomia Designata per Figures ; Guido da Vigevano ; 1345.
Enfin, pour illustrer la persistance de ce système (chausses séparées attachées sur l'avant aux braies), une enluminure datée 1440 représentant St Sébastien :
Livre d'heures de Catherine de Cleves ; MS M.917, pp. 252–253 ; 1440 ; Hollande.
L'apparition du doublet
Avec la diffusion du doublet au cours du XIVe siècle, l'adoption de vêtements très ajustés et le raccourcissement du vêtement de dessus dans la garde-robe masculine, la forme des chausses va évoluer. En effet, les chausses séparées montant jusqu'en haut des cuisses ont posé un certain nombre de problèmes de pudeur dont le ridicule nous a été transmit par les chroniqueurs de l'époque [3].
Jeu du civettino ; Lo Scheggia ; 1450 ; Palazzo DDavanzati, Florence.
Les chausses vont d'abord se faire plus longues et plus couvrantes tout en restant séparées.
On a la chance d'avoir un exemple exceptionnel de doublet de la fin du XIVe siècle, suffisamment bien conservé pour nous indiquer comment attacher les chausses : des languettes de lin sont cousues à l'intérieur du pourpoint : Les attaches de chausses sont réalisées à partir d'une étoffe de lin en forme de trapèze. Deux languettes de 10 centimètres y sont découpées et retournées sur elles-mêmes pour former un cordon
[4].
Pourpoint de Charles de Blois, 1364, conservé au Musée des Tissus de Lyon.
Sous le vêtement moulant qu'est le doublet, pas question de nouer les cordons sur une boule rigide. Les languettes sont passée dans des œillets , brodés par paire sur le haut des chausses. On compte 8 attaches qui permettent de fixer les chausses sur tout le tour de la taille. Ce n'est qu'à l'entre-jambe que les chausses ne couvrent pas le porteur.
Les chausses jointes ou chausses à plain-fond
Au XVe siècle, le problème d'attentat à la pudeur est (en partie) résolu en cousant les deux jambes ensembles, pour former des chausses jointes ou chausses à plain-fond (ou plein-fond selon la graphie employée).
Les chausses s'attachent alors au pourpoint mais sur le bas des basques[5] grâce à des aiguillettes passées dans des séries d’œillets disposés par 2 sur le bas du doublet et sur le haut des chausses.
Dirk Bouts : La justice de l'empereur Otton : Le supplice du comte innocent, détail ; (ca. 1473-1475) ; Musées royaux des beaux art de Belgique, Musée d'art ancien.
Les aiguillettes sont d'abord passées dans les chausses puis dans le doublet. Les chausses sont portées en dessous.
Lorsque les mouvements étaient gênés par ce système contraignant, notamment pour les travaux physiques, certaines aiguillettes voire toutes pouvaient être détachées.
La renaissance (XVIe et XVIIe siècles)
Au cours de la renaissance, la forme du pourpoint va souvent changer. Que se soit sur la forme des basques (longues et amples ou absentes. Cousues entre elles ou bien indépendantes) ou sur l'emplacement de la ligne de taille (tantôt placée bas sur le ventre, tantôt placée au dessus des côtes).
Les chausses vont également subir une évolution notable, puisqu'elles vont se séparer en 2 parties : les haut-de-chausses[6] et les bas-de-chausses (ou simplement chausses). Ce sont évidemment les haut-de-chausses qui s'attachent au pourpoint.
Leur forme également va varier : d'abord courts et bouffants, puis plus longs et droits jusqu'aux volumineuses rhingraves[7].
La seule constante dans toutes ces variations, c'est que les haut-de-chausses et le pourpoint continueront à être attachés ensemble jusqu'au moment où les hauts-de-chausses seront remplacés par la culotte à partir de 1670. En ce qui concerne la fixation des haut-de-chausses, on peut dégager plusieurs tendances qui coexistent jusqu'à la fin de l'usage des haut-de-chausses fixés au pourpoint.
Fixation visible
Dans la même veine que sur les pourpoint XVe, les pourpoints au début de la renaissance vont avoir un système d'attache traversant sur le doublet. La différence notable est qu'au lieu d'être située sur le bas du pourpoint (et donc le bas des basques) la ligne d’œillets va être placée au niveau de la taille.
Pourpoint à basques très courtes ou sans basque
Certains pourpoints du XVIe siècle (du début jusqu'au 3ème tiers) sont dépourvus de basques : ils s'arrêtent à la ligne de taille ou vont présenter une bande sous la ligne de taille juste assez large pour supporter les œillets qui serviront à attacher les chausses.
Le martyr de Ste Catherine, détail, Lucas Cranach l'ancien, 1508.
Les rubans décoratifs
On retrouve ce système d’œillets traversant dans les basques longues et détachées les unes des autres des formes caractéristiques du XVIIe siècle.
Doublet, 1625, 1630 ; Italie ; V&A..
Vers la fin du XVIe siècle les aiguillettes deviennent un élément décoratif à part entière jusqu'à la mode consistant à faire de grands nœuds de larges rubans.
Pourpoint et haut-de-chausses, Angleterre, 1635-1640, V&A.
Les rubans se multiplieront comme élément de décoration avec la mode des rhingrave mais ce système a été porté sur des haut-de-chausses droits également. Sur certains pourpoints, les rubans décoratifs ne serviront plus à fixer les chausses et seront attachés à des brides cousues sur l'endroit du vêtement. Doublet en soie ; 1580 ; The Metropolitan Museum of Art.
La fixation intérieure
Portrait de Charles IX, roi de France (1550-1574) ; François Clouet ; 1566 ; Musée du Louvre.
Sur les pourpoints à basque longues du XVIe siècle, on ne voit souvent aucun système d'attache de l'extérieur. Certains vêtements conservés nous révèlent que les haut-de-chausses n'étaient pas indépendants pour autant, en effet, une ceinture rapportée sur l'intérieur du pourpoint, au niveau de la taille, percée d’œillets, permettait d'attacher les haut-de-chausses avec des aiguillettes.
Pourpoint de Svante Sture (1567), détail. Janet Arnold Patterns of fashion 3 ; Macmillan ; 1985.
Détail de la bande de lin cousue à l'intérieur du pourpoint sur la ligne de taille avec des œillets brodés par 2.
A partir de 1630, les haut-de-chausses sont quasiment indépendants, comme le seront les culottes de la fin du siècle.
Cependant avec la mode des pourpoints à la ligne de taille très haute et des basques séparées, il faut faire tenir les hauts de chausses bien plus haut que sur les hanches (voire même que la taille naturelle). Des système mélangeant œillets et crochets métalliques permettent de tenir les hauts de chausses sur la ligne de taille du pourpoint. Ces systèmes ne font pas nécessairement tout le tour de la taille. On peut trouver simplement 3 crochets de chaque côté pour maintenir les hauts de chausses à la bonne hauteur.
Pourpoint et haut-de-chausses d'enfant, Angleterre, 1640, V&A.
A la fin du XVIIe siècle (vers 1680), le costume masculin se composera non plus d'un pourpoint et haut-de-chausses mais d'un justaucorps et d'une culotte. Bien que la culotte semble directement dérivée des haut-de-chausses [8], cet ensemble sonne le glas du lien physique entre chausses et pourpoint : la culotte est indépendante.
Petite curiosité
Terminons cet article par deux représentations particulières de chausses attachées par dessus le pourpoint.
Bataille entre Héraclius et Chosroès (détail) ; 1452-66 ; fresque ; Piero della Francesca
Le pendu ; Tarot de Visconti-Sforza ; Morgan Library ; 1450–1480.
Sur ces deux images du XVe siècle, les personnages représentés sont un infidèle Sassanide[9] pour la première et le pendu du tarot. Cette manière d'attacher les chausses par dessus le doublet est probablement uniquement symbolique. Est-ce à ça que faisait allusion Rabelais 100 ans plus tard ?
Notes
[1] Rey, Aain, Dictionnaire historique de la langue française.
[2] ceinture qui permet de tenir les braies, possiblement en cuir si l'ont s'en tient à la description des fabricants de braiels dans le Livre des Métiers d'Etienne Boileau.
[3] Newton, Stella Mary, Fashion in the age of the Black Prince, Boydell & Brewer Ltd, 1080.
[4] Schoefer, Marie, Le Pourpoint de Charles de Blois, remarques faites au cours de sa restauration, Histoire et images Médiévales thématique n°6, 2006.
[5] partie rapportée située sous la ligne de taille.
[6] Le terme apparaît sous la forme hault de chausses dans le Quart Livre de François Rabelais, 1548 : pour te faire un hault de chausses, & nouvelle braguette
et dans ''Les essais, Livre I, chapitre XXXI, des Cannibales, Michel de Montaigne, 1595 : Tout cela ne va pas trop mal : mais quoy, ils ne portent point de haut de chausses
(en parlant des sauvages).
[7] Haut-de-chausses larges et flottantes qui ressemble à une jupe.
[8] plusieurs inventaires parlent de hauts-de-chausses en forme de culotte, Micheline Baulant, Jalons pour une histoire du costume commun, L'exemple de Meaux (1590-1670), Histoire & mesure, XVI - 1/2, 2001.
[9] La bataille d'Héraclius contre Chrosoès fait partie de la croisade pour la reconquête de la relique de la vraie croix.