La mode féminine au XIIIe siècle : aperçu et perspectives de reconstitution

Entre l'excentricité de la mode du XIIe siècle fortement influencée par l'orient et Byzance et la révolution de la mode au XIVe siècle qui dévoile de multiples façons un corps modelé[1], le XIIIe siècle est souvent considéré comme une période de non mode. Une période où la parure serait absente des considérations de la haute société. C'est dû en grande partie au règne de Louis IX, St Louis, réputé pieux et austère (ceci au travers des témoignages de ses contemporains[2]) et l'on obtient le parfait cocktail pour une méconnaissance de la mode et des usages vestimentaires.

Alors le XIIIe siècle, règne du sac à navets ou de l'élégance ? Au delà de cette question de look, ce sujet nous amène également à nous interroger sur la démarche de reconstitution du costume au XIIIe siècle.

Notes

[1] Odile Blanc ; Parades et parures, L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Age ; Gallimard ; 1997.

[2] Voir le témoignage de Jean de Joinville lors de la pentecôte à Corbeil.

Si réaliser, proposer ou reconstituer un costume d'une période donnée n'est pas faire ou écrire l'histoire du costume (puisque l'on se place dans le cas particulier, que le costume se veuille représentatif ou non), il faut néanmoins connaître un minimum cette histoire et au delà des formes et des silhouettes du costume, comprendre les usages et la sociologie du vêtement[1].

Contexte économique, social, historique et politique

Nous n'allons pas ré-écrire l'histoire du XIIIe siècle. Le XIIIe siècle est souvent considéré comme une période stable et florissante du Moyen Age. Citons le développement des cathédrales, des universités, des villes nouvelles. On pourrait s'attendre en parallèle à une explosion vestimentaire, une transposition dans la mode de cet âge d'or. Ce n'est pourtant pas ce qui saute aux yeux dans les représentations du vêtement.

Et le textile dans tout ça ?

La fin du XIIe siècle a vu une première révolution industrielle[2]. Le textile a même fait sa révolution vers 1165. La draperie (tissu de laine) a connu un essor à cette période et constitue toujours le textile le plus utilisé à cette période[3].

Les tissus luxueux, comme les soieries, sont importées massivement, du moyen-orient, mais également d'Italie et d'Espagne qui développent les ateliers copiant les techniques orientales. On retrouve ces tissus dans les foires de Champagne. Le travail de la soie fait également ses premiers pas en France. La sériciculture apparait au XIIIe siècle en Ardèche et des ateliers de tissages sont implantés dans le Languedoc (Montpellier et Alès).[4]

Observations : l'iconographie du costume féminin

L'enluminure

Les enluminures nous apportent une vision très uniforme de la mode de la haute société du XIIIe siècle, que l'on observe les costumes de l'inévitable bible dite de Maciejowski ou d'autres manuscrits (Vie de St Louis ...), se sont des cottes amples et longues, unies sans décorations apparentes hormis des liserés blanc, parfois interprétés comme des broderies ou des signes de doublures, mais qui ne sont probablement que des rehauts de peinture.

abigail-1.jpg Bible de Maciejowski. The Pierpont Morgan Library MS M.638 fol. 33v. Abigaëlle rencontre David.

La première chose que l'on remarque sur cette enluminure, c'est la silhouette du personnage : allongée, elle n'est interrompue que par les plis formés à la taille et l'amas de tissu (la traine) qui repose sur le sol.

La seconde chose notable est la quasi absence de décorations : au plus un fermail pour orner la cotte, une ceinture longue, une aumônière et le double cordon qui maintient le manteau.

liseres.jpg Bible de Maciejowski. The Pierpont Morgan Library MS M.638 fol.13v. Compagnes de la fille de Jephté. On note des liserés blancs le long des encolures et des poignets.

27.jpg Carnets de Villard de Honnecourt, MS. 19093 Français, BNF.

Sur ce dessin, c'est la quantité de plis qui ressort : chaque pièce de la robe en présente de nombreux, des manches au manteau, tout semble plissé, fluide. Encore une fois, aux pieds, un lourd amas de tissu ancre la silhouette.

La statuaire

La statuaire de l'époque nous propose une autre vision, en 3 dimensions cette fois bien qu'il nous manque encore une information primordiale dans la plupart des cas : la couleur. Cependant, ces représentations nous offrent une bonne vision des plis, des volumes et des drapés.

ThreeWiseVirginsMagdeburg.jpg Cathédrale de Magdeburg : les vierges sages.

Les vierges sages nous montrent en 3 dimensions ces même silhouettes épurée. La quantité de plis, loin de masquer le corps l'habille et le met en valeur : la poitrine ainsi que les hanches sont soulignés par les plis. La décoration est encore ici cantonnée aux accessoires : fermaux, ceintures, attaches de manteau. Néanmoins, les statues de la même région ayant conservé leur polychromie nous offrent un spectacle bien moins austère : couleurs vives et contrastées.

reglindis-01.jpg Cathédrale de Naumburg, Reglindis.

Tentateur_et_vierge_folles.jpg Cathédrale de Strasbourg, Tentateur et vierges folles.

Ici, les vierges folles montrent des corps déhanchés, presque dévoilé et ce, malgré les cottes amples et plissées. La fluidité des vêtements accentue cette mise en scène que l'on retrouve décrite chez certains moralistes critiquant la gestuelle des femmes cherchant à séduire[5].

Conclusions provisoires

On l'a vu, loin de créer une masse informe les représentation du costume féminin du XIIIe siècle nous montrent une silhouette fluide et dynamique. Si le corps en lui même n'est pas mis en valeur de manière évidente (le corps n'est pas moulé, n'est pas formé par ces vêtements), on note malgré tout une mise en scène corporelle faisant appel à un certain sens esthétique. La robe du XIIIe siècle ne relève ni d'une non-mode, ni d'un vêtement qui cache le corps : elle dévoile subtilement une silhouette en mettant en valeur quelques éléments essentiels et bien choisis de la féminité.

Informations complémentaires apportées par les textes

Les textes de l'époque peuvent renseigner à divers degrés sur la mode de l'époque. Si, dans la discipline de l'histoire du vêtement, les inventaires règnent en maître, les autres formes de textes nous offrent des renseignements tout à fait appréciable lorsqu'il s'agit de proposer des re-créations de costumes historiques. Ces genres littéraires sont les romans et chroniques, les textes des moralistes et les lois somptuaires.

Les romans

Un roman courtois au XIIe siècle était, dans une certaine mesure, une chronique de mode ; on attendait de lui la description de robes de grand luxe et de chefs-d'œuvre de haute couture.[6]

On le comprend facilement, les romans et les chroniques nous offrent une vision très idéalisée du costume. Si l'on regarde de près les romans et poèmes de l'époque, la plupart des protagonistes portent sur eux l'équivalent de plusieurs cadeaux diplomatiques ! Samit et brocard semblent être la norme. Bien entendu, on ne peut en tirer aucune conclusion généraliste, cependant, ces textes nous renseignent sur ce qui fait la mode à un instant.

Par exemple, dans les textes du XIIe siècle, la coupe du vêtement est mise à l'honneur[7] alors qu'au XIIIe les romans mettent en avant la qualité et la quantité de tissu utilisé pour leur confection[8]. De cette comparaison on peut déduire que la mode informe du XIIIe siècle est plus liée à une mode consistant à se parer de la plus grande quantité de tissu de qualité possible plutôt qu'à une non mode qui consisterait à cacher son corps.

Ce fait semble être confirmé part l'étude de certaines lois somptuaires.

Les lois somptuaires

Là encore, ces textes sont difficiles à utiliser dans le cadre d'une étude généraliste du fait de leur très forte localisation (Ces lois sont généralement applicable à une ville seulement). Cependant, elles peuvent nous aiguiller de plusieurs manières :

D'une part en nous indiquant encore une fois, où se situe l'objet de mode. Une étude sur les lois somptuaires[9], met en lumière que, contrairement aux lois somptuaires européennes plus tardives qui s'intéressent au type de vêtement, ces lois déterminent essentiellement la quantité de tissus pour un vêtement ainsi que le coût des tissus que les personnes de différents statuts peuvent porter.

D'autre part, en mettant en lumière des détails vestimentaires qui échappent par leur taille aux représentations (usage de perles dans les décorations, par exemple).

Les moralistes

Les textes des moralistes et les prédications peuvent renseigner sur l'usage et la mode d'un moment. Ces textes, de par leur vocation, ont parfois tendance à l'exagération (voir les critiques sur les traines exagérées qui nettoient les ordures). Mais ils mettent en lumière ce que les représentations gardent dans l'ombre (nous verrons plus loin des exemples concret de cette distorsion).

Apport de l'archéologie

Des vêtements datés du XIIIe siècle nous sont parvenus. Ils sont généralement plus instructifs d'un point de vue technique que d'un point de vue de l'histoire de la mode. En effet, leur nombre ne permet pas de tirer de grandes conclusions mais peut permettre de valider une théorie ou d'affiner la connaissance technique. D'un point de vue de la reconstitution, ils sont donc très précieux puisque nous pourront ré-utiliser les informations fournies de manière pratique.

Les vêtements retrouvés nous offrent un aperçu de la technique des tailleurs : comment étaient-ils coupés ? Comment étaient-ils assemblés ? De là, nous pouvons déduire la mécanique du vêtement : comment réaliser un drapé à la fois fluide et structuré ? La tunique de Ste Claire nous renseigne[10].

Mais on peut également affiner des points de détails grâce à la connaissance de ces vêtements. Revenons sur les liserés blancs observés sur les enluminures. Il s'agit très vraisemblablement technique de peintre pour rehausser le dessin. Cependant, on note sur les vêtements conservés plusieurs types de finitions. Les ourlets peuvent être cousus sur l'endroit, ils peuvent être réalisés avec des points de couture décoratifs (couchure, points avant ...) ou même remplacés par des galons tissés à même[11]. Bien que les liserés observés sur les enluminures ne doivent pas être surinterprétés, il est possible de faire un vêtement qui en présentent d'après des sources fiables et non interprétables, il ne s'agit pas alors de reproduire fidèlement une observation faite à partir d'une peinture mais d'appliquer les techniques de finition attestées par l'archéologie.

Exemples concrets

J'ai choisi d'illustrer ce bref aperçu de la mode féminine au XIIIe siècle par deux exemples concrets des limites auxquelles nous sommes confrontés. Ces faits de mode qui nous ont été transmis au travers de témoignages écrits mais nous ne disposons pas, à ma connaissance de représentation. Comment les interpréter ? Faut-il les intégrer dans une démarche de reconstitution ?

Guimpes safranées

Plusieurs témoignages évoquent les guimpes safranées. Nous allons revenir dessus, mais tout d'abord intéressons-nous à ce que ce terme désigne.

La guimpe est une coiffe féminine entourant le visage, elle couvre généralement le cou et le menton. Le safran, est une épice importée du Moyen-Orient qui peut être utilisée en teinture. Elle donne un jaune safran, c'est une teinture fort chère qui connaîtra des imitations moins onéreuse.

Une guimpe safranée serait donc une coiffe entourant le visage teinte en jaune. Les représentations de coiffes féminines (de guimpes en particulier) sont blanches à cette époque. Où sont donc les guimpes safranées ?

Deux types de textes mentionnent cette mode :

Le premier est le dit du mercier (v.15) qui, au milieu d'une énumération de tout un tas d'accessoires destinés à la parure féminine :

J'ai les guimples ensaffrenees

Le second est le sermon sur les vierges d'Etienne Langton qui critique les femmes qui s’enorgueillissent de leur voile teint au safran alors que celui-ci leur a été donné en signe de péché.[12]

La nature différente de ces deux témoignages nous donne une bonne idée des forces qui s'opposaient en ce qui concerne la mode et la parure. En outre, le fait que ces deux textes soient de nature si opposée nous donne une certaine confirmation de l’existence de ces guimpes colorée qu'il eut été difficile de cerner avec une source d'une seule nature. Accessoire pour coquette sur l'étal du mercier qui en fait l'article et accessoire d'orgueil indigne de se retrouver dans un lieu de culte pour le sermonneur. On comprends mieux alors, pourquoi les manuscrits ne nous montrent pas ces voiles colorés !

La question demeure : peut-on reproduire cet accessoire, qui n'est jamais représenté ? Techniquement : oui. Nous savons quelle est la forme de cet accessoire et nous connaissons la technique de teinture. Il est donc possible de re-créer ce vêtement de manière crédible. Nous nous serons, dans ce cas éloigné des représentations habituelles et il sera difficile de justifier par l'image, comme nous le faisons souvent, cette particularité.

Décolletés

Le deuxième exemple que j'ai choisi pour illustrer ces limites est celui du décolleté. Les représentations de robes découvrant le cou et la gorge ne datent que du deuxième tiers du XIVe siècle. Cependant, les premières mentions de cette mode sont plus anciens.

Ainsi, vers, 1270, dans le célèbre Roman de la rose, Jean de Meung décrit le décolleté comme une des armes féminines dans les stratégies de séductions :

(v.13313 à v.133218)

S'ele a beau col e gorge blanche,
Gart que cil qui sa robe trenche
Si tres bien la li escolete
Que la char pere blanche e nete
Demi pié darriers e devant,
S'en iert assez plus decevant.

Bien sûr le texte de Jeand de Meung est à la fois grivois et misogyne mais il a également une vocation encyclopédique sur l'art de la séduction[13]. De fait, il est difficile de classer cette évocation du décolleté dans un contexte social bien identifié. Comment toucher la réalité de ce décolleté ?

60 ans écoulés entre ce texte et es premières représentations. 60 ans et une révolution dans la mode.

Même question que précédemment : peut-on reproduire cette mode même sans représentation ? A moins de le réaliser au hasard ou de se baser sur des représentations de robes d'une époque où elles sont radicalement différentes, la réponse est non. Dans ce cas, la limite qui s'impose à une réalisation est bien celle de la représentation.

Conclusion

C'est dire si un vêtement, dès lors qu'il n'est plus porté ni pris en charge par un discours, autrement dit objet d'une représentation, cesse de signifier autre chose qu'une pièce d'étoffe dont seule l'analyse technique, en effet, peut rendre compte. Ce constat devrait nous amener à réfléchir, d'une part, sur notre actuelle manie de la reconstitution, qu'elle opère dans la muséologie comme dans le cinéma, dont l'efficacité est pour le moins problématique.[14]

Difficile de trouver la solution pour évoquer de manière crédible la mode de cette époque. Comme nous l'avons vu, au delà de la codification, les représentations à notre disposition semblent réellement souffrir d'une forte censure et certains détails sont donc hors de portée d'une évocation sérieuse.

Pour autant, dans le cadre de l’évocation de la vie au XIIIe et, qu'elle opère dans la muséologie ou dans le spectacle, il faut continuer à chercher des solutions crédibles et améliorer le rendu des costumes de cette période. Ceci ne peut se faire que dans le cadre d'une démarche rigoureuse, qui ne se laisse pas piéger par les diverses illusions citées par Odile blanc dans son article[15] :
L'illusion descriptive, l'illusion nominale, l'illusion narrative, l’illusion figurative et l'illusion matérielle.

Il est d'autant plus important de ne pas s'en tenir à la première impression que nous laissent les représentations. Loin de l'effet sac à navet qui consisterait en une absence totale de sens esthétique, l'élégance des drapés demande une fine analyse et un travail minutieux de confection[16] ainsi que le choix de matières adaptées.

Il faut cependant garder à l'esprit que certaines subtilités et certains usages nous resteront inconnus jusqu'à de nouvelles découvertes. Proposer un vêtement d'après les textes sans avoir une seule représentation de ce qu'ils décrivent est un exercice très délicat et dont le résultat semble trop hasardeux pour pouvoir être validé dans le cadre d'une démarche sérieuse. Il faut donc se résoudre à cette vision parcellaire que nous avons et que nous rendons au travers de nos évocations, en gardant à l'esprit que oui, peut être nous contentons-nous de proposer de l'évocation de grenouilles de bénitier.

Pour aller plus loin

Je citerai quelques uns de mes travaux de reconstitutions qui ont amené à cette réflexion généraliste et qui illustrent chacun à leur manière une des particularité soulevée ici :

Enfin, je voudrai citer un très beau travail sur le costume XIIIe, loin des clichés : celui d'apud angeron 1250 qui a publié un article sur l'une de leur réalisation (costume d'une comtesse rhénane vers 1250) dans le magasine Histoire et Images médiévales.

Notes

[1] Rolland Barthes ; Histoire et sociologie du Vêtement ; Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 12e année, N. 3, 1957. pp. 430-441.

[2] Jean Gimpel ; La révolution industrielle au Moyen Age ; Seuil ; 1975

[3] Dominique Cardon ; La draperie au Moyen Age, Essor d'une grande industrie Européenne ; CNRS éditions ; 1998.

[4] Sophie Desrosiers ; Draps d'Areste (II). Extension de la classification, comparaisons et lieux de fabrication ; Soieries médiévales

[5] C. Casagrande, S. Vecchio ; Histoire des péchés capitaux au Moyen-âge ; Aubier ; 2003.

[6] J. Frappier, Étude sur Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, Paris, SEDES, 1969

[7] Christina Frieder Waugh, « Well-cut through the body : » fitted clothing in twelth-century Europe, DRESS, 1999, vol 26

[8] Sarah-Grace Heller ; Fashion in medieval France ; D. S. Brewer, Cambridge ; 2007.

[9] Sarah-Grace Heller ; Sumptuary Legislation in France, Languedoc and Italy.

[10] Voir l'article sur le costume d'une fausse courtisane vers 1250.

[11] Else Østergaard ; Woven into the earth ; Aarhus University Press ; 2003.

[12] Frédérique Lachaud ; La critique du vêtement et du soin des apparences dans quelques œuvres religieuses, morales et politiques, XIIe-XIVe siècles, Le corps et sa parure ; SISMEL - EDIZIONI DEL GALLUZO ; 2007.

[13] Nathalie Coilly, Marie-Hélène Tesnière (dir) ; Le Roman de la rose, l'art d'aimer au Moyen Age ; BNF ; 2012.

[14] Odile Blanc ; Histoire du costume : l'objet introuvable ; Médiévales, N°29, 1995. pp. 65-82.

[15] voir ci-dessus

[16] « Belles robes et beaux garnements améliorent considérablement un homme, aussi dois-tu confier ta garde-robe à un tailleur qui sache couper, qui fasse des coutures bien situées, et manches seyantes et élégantes. » Guillaume de Lorris

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