La bourse ou l'aumônière !

En reconstitution, l'aumônière est souvent l'accessoire joli, qui fait envie. Mais on ne sait pas toujours si l'on peut le porter ni comment.

C'est aussi parfois, l'accessoire utile dont nous avons l'impression ne pas pouvoir nous passer pour des raisons autant pratiques qu'anachroniques.

Les questions que l'on me pose régulièrement sur les aumônières sont : Est-ce qu'on a des représentations ? Est-ce qu'elles étaient vraiment portées ? Est-ce que c'était porté par les hommes ?

P1050369.JPG Une aumônière en cours de broderie au fil de soie. Accessoire classieux à porter impérativement ?

Que faire pour ne pas se tromper d'accessoire ni faire de faute de goût ? Qu'aurait écrit une blogueuse de mode au moyen-âge ?

Plongeons dans l'univers de l'accessoire par excellence !

Aumônière et bourse, deux mots qui semblent désigner des objets différents et qui sont aujourd'hui synonymes. Qu'en est-il ?

Nous allons nous intéresser tour à tour aux textes de l'époque, aux représentations, aux pièces qui nous sont parvenues pour tenter d'en tirer des conclusions sur la manière d'utiliser ses objets dans le cadre de la reconstitution.

Mais d'abord, consultons un bon vieux dictionnaire.

Définitions

Dans le dictionnaire historique de la langue française, dirigé par Alain Rey :

borse vers 1150, puis bourse début XIIIe, est issu du bas latin byrsa bursa, cuir (fin IVe siècle) attesté en latin médiéval au sens métonymique de sac de cuir (vers 750) en particulier sac destiné à recevoir de l'argent (VIIIe - XIe siècles)

aumosniere 1176, a désigné une bourse destinée en principe à l'argent des aumônes, puis un petit sac.

Dans les textes

Une fois de plus, les textes de l'époque vont nous aider à distinguer les différents accessoires, déterminer la manière de les porter et la symbolique éventuelle qui s'y rapporte.

Aumônière

On trouve mention des aumônières essentiellement dans les romans et les textes courtois. Elle sont souvent offertes en gage d'amour.

Dans le lai de Milon, les preuves des origines de l'enfant sont cachées dans une aumônière suspendue à son cou et placée sous les vêtements :

Al col li pendirent l'anel
E une aumoniere de seie
Avoec le brief, que nul nel veie ;

Lais de marie de France, Milon, vers 96 à 98.

Impossible de ne pas citer le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, de Jean Renart. Impossible également de citer tous les passages où le mot apparait. En effet, le dénouement de l'intrigue repose sur une aumônière offerte en gage d'amour et portée à même la peau sous la chemise.[1]

On le voit, l'aumônière peut être portée sous les vêtements, telle un coffre à trésor secrets.

La dimension symbolique de l'aumônière liée à l'amour et au cœur est très forte dans l'escoufle de Jean Renart où cet objet est encore au centre d'une intrigue amoureuse : Aelis donne à son promis, Guillaume, une aumônière contenant un anneau. Un escoufle (un oiseau de proie) s’en empare. Guillaume part à la poursuite de l’oiseau :

L'anel mist en une aumosniere
D'un samit vermeil, fin et frois
Ki pent a son tissu d'orfrois
K'ele ot le jor au primes chaint.
La damoisele se deschaint.
S'a l'aumosniere despendue
De la ou ele estoit pendue,
Puis la ratache a une afiche
Quarrée, a pierres, bêle et riche
Dont ele ot son col afichié.
Ele a bien son cuer afichié
Que ses dous amis, s'ele vit,
Avra Panel k'il aine ne vit
Et l'aumosniere tôt ensamble.

L'escouffle, Jean Renart.

Dans certains textes l'aumônière est portée à la ceinture, sur la cotte. Elle n'est plus cachée, mais affichée.

Dans cet extrait du Chevalier au Lion, la description de l'habillement d'Yvain se termine par la ceinture et la riche aumônière :

Et celle feint qu'elle envoit querre
Monseigneur Yvain en sa terre,
Si le fait chacun jour bangnier,
Et laver, et aplennïer ;
Et avec ci li apareille
Robe d'eskallaste vermeille,
De vair fourree a tout la croie.
N'est riens qu'elle ne li acroie
Que il conviengne a li acesmer :
Fermail d'or a son col fermer,
Ovré a pierres precïeusses
Qui mout font les gens gracïeusez ;
Sainturestë et aumosniere
Qui fu d'une riche segniere.

Le chevalier au Lion, Chrétien de Troyes, vers 1881 à 1894.

Dans les descriptions que nous venons de citer, les aumônières semblent toujours confectionnées dans une étoffe précieuse et rehaussée de broderies fines aux motifs à la mode. Mais les romans de l'époque ont tendance à toujours mettre l'accent sur des objets rares et précieux. Qu'en est-il réellement ?

Dans le livre des métiers d'Etienne Boileau, il est question d'aumônières au chapitre des merciers. Si le livre ne nous renseigne pas sur la technique, ses précisions sur les règles à respecter dans la fabrication et la vente nous indiquent quelles sont les caractéristiques importantes de ces aumônières. Ainsi, la qualité de la soie employée semble primordiale : Des soies dans flor ni florin qui désignent les soies de basse qualité réalisées probablement avec les déchets de filature[2]. La qualité des matières pour les décorations est également règlementée : ne pas mélanger des fils de coton avec les fils de soie, ne pas utiliser des fils d'or de Lucques.

Ces informations confirment donc les premières observations réalisées dans les romans : les aumônières sont des objets de luxe réalisés dans des matériaux nobles.

Nous venons de le voir, dans les romans courtois, lorsqu'il s'agit de gages d'amours secrète, l'aumônière est portée sous les vêtements. Jean de Meung, dans le Roman de la rose, conseille aux jeunes gens en quête d'amour de la porter devant et bien en vue :

E l'aumosniere touteveie
Qu'il rest bien dreiz que l'en la veie

Le roman de la rose, Jean de Meung, vers 13563-13564

Bourse

La littérature courtoise, prolixe sur les descriptions des vêtements de la noblesse ne mentionne que rarement la présence de bourse.

Dans le roman de la rose ou de Guillaume de Dole, elle est mentionnée lors de la description des badauds qui assistent à l'arrivée en ville de la belle Liénor :

L'en porroit les borses couper
a ceuls qui vont emprés musant.

Le roman de la rose ou de Guillaume de Dole, Jean Renart, vers 4545-4546

Si l'aumônière est au cœur de l'intrigue du roman, les badauds eux, portent des bourses. Il semble donc qu'il y ait une véritable distinction sociale et symbolique.

Ce sont les fabliaux qui nous permettent de mieux cerner cet objet tant ils nous renseignent sur le quotidien des gens du commun.

Un troubadour, voulant jouer un tour aux prostituées de Provins se déguise en vilain, pour ce faire, parmi tout son attirail, il achète une bourse :

Por que mieus samblast vilain.
une borse grante acheta,
Douze deniers dedenz mis a,
Que il n'avoit ne plus ne mains.

Boivins de Provins, vers 16 à 19

Danièle-Alexandre Bidon, dans le quotidien au temps des fabliaux évoque un fabliau où l'amant s'enfuit précipitamment de chez sa maitresse et enfile par erreur les braies du mari. Le lendemain, il est bien ennuyé lorsqu'au moment de payer il n'a pas sa bourse accrochée à celles-ci.

Cette anecdote nous donne un renseignement très précieux : la bourse se porte attachée aux braies, sous la cotte et n'est donc pas visible. Nous verrons plus loin qu'effectivement, il existe des représentations, dès le XIIe siècle, de bourses portées aux braies.

Est-ce que cette bourse est fabriquée différemment des aumônières où est-ce une distinction purement littéraire ?

Le livre des métiers, encore une fois, nous révèle de précieuses informations sur les bourses. En effet, un chapitre est dédié au boursiers. Une partie de la règlementation concerne la qualité et le type de cuir à utiliser pour la fabrication des bourses. Petit détail intéressant : les boursiers peuvent œuvrer jour et nuit, à ajouter aux quelques catégories d'artisans autorisés à travailler la nuit.

Durant les XIIe et XIIIe siècle, il semble bien que l'aumônière et la bourse soient bien deux objets distincts : par leur technique et matériaux de fabrication, par leur dimension sociologique et par leur symbolique.

Une différentiation qui disparaît

Petit à petit, dans les textes, la distinction entre bourse et aumônière semble s'estomper.

Cette description des archives de Dijon de la fin du moyen-âge parle de bourse de soie:

Une tres viez boursse de soie ou il a xiii grilloz dargent.

Les grelots étaient utilisés en décors, tels des bijoux mais aussi comme anti-vol sur les bourses. On a là, une bourse réalisée dans un matériaux précieux et ornés de grelots d'argent : l'aspect purement utilitaire de la bourse s'estompe pour rejoindre la catégorie des accessoires d'apparats. Bourse ou aumônière, ces deux objets tendent à ce confondre.

Au XIVe siècle, dans le Roman de Baudoin de Sebour, le vêtement décrit pour une mariée inclus, parmi des riches soieries et des étoffes d'or, une bourse ovree.

Mais une distinction symbolique qui reste

Malgré tout, la différence symbolique entre ce qui est au départ l'aumônière aristocratique et la bourse du vilain transparait dans l'évocation de chacun de ses termes. En effet la référence sexuelle explicite de la bourse semble exister dès le XIIIe siècle et au XIVe siècle où la bourse est souvent assimilée aux scènes d'érotisme ou de luxure.

L'aumônière, elle, bien qu'utilisée de manière civile garde sa dimension spirituelle que se soit dans le domaine religieux ou le domaine laïc.

Certains artefacts aujourd'hui conservés comme reliquaires (nous y reviendrons) ont été auparavant utilisé par des laïcs, suspendue au cou pour transporter des badges de pèlerins ou des reliques[3].

De même, si la bourse rempli de nombreuses fonctions, dans le roman de la rose de Guillaume de Lorris, aumônière, ceinture et gants font partie desbel robe et bel garnement. L'aumônière est un accessoire indispensable de l'amant courtois.

Représentations

D'après la définition, le terme aumônière apparait dès la fin du XIIe siècle, cependant, et comme souvent à cette période,la comparaison des textes et des images témoigned'un décalage temporel.

Les premières représentations, au XIIe siècle, montrent des personnages en sous-vêtements, des lutteurs la plupart du temps qui ont une bourse attachée aux braies : fr00715b10a.jpg Deux lutteurs en braies, l'un d'eux porte une bourse attachée au braiel. Abbaye Sainte-Marie de Souillac, XIIe siècle

En se référant aux textes étudiés précédemment, on peut déduire qu'il s'agit bien là de la bourse en cuir des vilains.

Il faut attendre le début du XIIIe siècle pour commencer à voir des aumônières portées à la ceinture de manière ostentatoire par des personnages nobles : Braunschweig_Brunswick_Heinrich_der_Loewe__Dom_2005_.jpg Statue du tombeau d'Henri le Lion dans la cathédrale de Brunsvig (entre 1230 et 1240).

Ou sur des scènes particulières comme un mariage : 00401056.jpg Scène de mariage, la mariée porte à la ceinture une aumônière. MS. Lat. th. b. 4, 1241.

AU XIVe siècle, l'aumônière ou la bourse deviennent des objets à part entière de scènes amoureuses : deux amoureux, la femme offre son cœur à son amant tandis que celui-ci lui tend une bourse en retour : roman-alexandre.jpg Marge, Roman d'Alexandre, Bodleian Library, MS. Bodl. 264, fol. 59v.

Dans les œuvres religieuses, les représentations de bourses peuvent avoir plusieurs fonctions.

Judas et ses 30 deniers peut être représenté avec une grande bourse apparente.

L'avarice peut avoir comme attribut une ou plusieurs bourses, parfois démesurément grandes. Dans le manuscrit latin 15158, daté de 1289, présentant la psychomachie de Prudence, poème allégorique sur le combat des vices et des vertus, les bourses sont un outil d'identification de l'avarice : avarice-ramassant-le-butin.jpg Avarice, flanquée de ses nombreuses bourses ramasse le butin. BNF, Latin 15158, fol. 50

avarice-vertu.jpg Avarice déguisée en Vertu. Ici, plus de bourse, elle arbore un manteau doublé de fourrure et un fermail richement ouvragé. BNF, Latin 15158, fol. 52v.

avarice-deguisee-vertus.jpg En haut, Avarice, toujours déguisée, abuse les Vertus. On distingue sa bourse à demi-caché sous sa cotte. BNF, Latin 15158, fol. 53v.

On le voit, l’Église et les moralistes peuvent utiliser un objet du quotidien comme symbole négatif. Ceci implique, non que les bourses n'étaient pas utilisées, mais qu'il faut se renseigner avant de chercher à reproduire un personnage portant plusieurs bourses à la ceinture ou une bourse qui semble beaucoup plus grosse que celles qui ont été retrouvées.

Artefacts

Beaucoup d'aumônières brodées nous sont parvenues. Elle sont très finement ouvragées. Ces aumônières ont pour la plupart été conservées car elles servaient de sac à relique. La question de leur utilisation civile peut donc se poser.

Dans le roman de la rose ou de Guillaume de Dole, Liénor et sa mère expliquent qu'elles brodent et tissent pour offrir de beaux objets aux paroisses, notamment à celle qui sont les plus démunies. Il semble donc établi que certaines de ces aumônières richement ouvragées ont été dès le départ destinées à servir de reliquaire.

aumoniere_1180.JPG Aumônière en soie, fin XIIe conservée à Chelles.

bourse_XIIeme_trsor_cathedrale_d_auxere_.jpg Aumônière brodée du trésor de la cathédrale Saint-Etienne de Sens.

6_sens__Moyen_.jpg Photographie couleur de l'aumônière de Sens. Crédit photo : Tina Anderlini

Cependant, beaucoup de ces aumônières présentent des motifs laïcs, emprunts de la culture courtoise. Ces aumônières peuvent avoir été léguées à des églises après une première vie civile.

Le premier artefact de bourse que nous connaissons est datée du XIIIe siècle. C'est un simple sac de cuir muni de cordons de serrage.

Plus tard les bourses en cuir vont présenter des formes et des structures plus complexes avec l'apparition de poches et de compartiments. Ces bourses ou escarcelles datées des XIVe et XVe siècles sont bien documentées. Certaines formes vont se différencier selon le sexe.

Conclusions et perspectives de reconstitution

L'aumônière et la bourse sont, à l'origine, deux objets bien distincts : dans leur fabrication, leur utilité, leur symbolique. Mais tous deux ont une existence tangible et une utilisation bien réelle.

L'aumônière a bel et bien été portée dès le début par la noblesse, que se soit en gage d'amour, comme accessoire de mode richement ouvragé. Elle peut également être un véritable objet spirituel, qu'il soit laïc ou religieux.

La bourse semble être un objet utilitaire sans grande fonction sociale.

Il importe donc de choisir avec précaution l'objet que l'on souhaite utiliser en reconstitution, selon le contexte, le personnage reconstitué.

L'aumônière, si l'on n'a pas de représentation avant le second quart du XIIIe siècle, se porte sur les vêtements pour afficher sa richesse, son élégance. On peut également la porter sous les vêtements, comme cache secrète ou pour des raisons spirituelles. Quoi qu'il en soit, c'est un objet de luxe, ouvragé : c'est un marqueur social fort.

La bourse de cuir est fréquemment portée sous les vêtements, ou du moins sous les vêtements de dessus, à l’abri des regards, en sécurité. Peu à peu elle s'affiche, se décore (grelots pompons ...). Mais elle reste un accessoire utilitaire avant tout.

De même que lorsque les deux termes semblent désigner indifféremment les mêmes objets, le choix du mot, on l'a vu, n'est pas du tout anodin.

Pour finir, quelques illustrations de ces objets utilisés dans le cadre de la reconstitution :

P1050733.jpg Femme de la noblesse vers 1250 portant l'aumônière brodée de soie et d'or devant elle de manière bien visible

bourse-01.JPG Artisan brodeur en train de ranger sa bourse de cuir.

Bibliographie

Burns E. J. Sea of silk, A textile Geography of Women's Work in Medieval French Literature, PennPress, 2009.

Bidon D.A., Lorcin M.T. Le quotidien au temps des fabliaux, Ed. Picard, 2003.

Bartholeyns G., L'enjeu du vêtement au moyen-âge : de l’anthropologie ordinaire à la raison sociale (XIIIe-XIVe siècles), Le corps et sa parure, Sismel ed. 2007.

Vandeuren-David C., La problématique de la distinction sociale à travers la parure à Dijon (XIVe XVe siècle), Le corps et sa parure, Sismel ed. 2007.

Notes

[1] Accusée à tort par le Sénéchal de ne plus être vierge, Liénor décide de démasquer l’imposteur : elle lui fait envoyer, de la part d’une femme que le sénéchal a naguère courtisée en vain, une aumônière contenant un anneau, une broche et une ceinture ; puis se rend à la cour de l’empereur, prétend que le sénéchal l’a violée et lui a volé les objets qu’elle lui a fait remettre. Le sénéchal jure n’avoir jamais vu cette jeune fille et c'est lorsqu'elle demande à ce que ses vêtements lui soient ôtés pour vérifier s'il porte bien les objets volés que le sénéchal est démasqué et l'honneur de Liénor retrouvé.

[2] Voir la section sur les soies de basse qualité dans l'article sur la robe de fausse courtisane vers 1250.

[3] Brian Spencer, pilgrim souvenirs and secular badges : Medieval finds from excavations in London, vol.7, London Stationery Office, 1998.

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