Tenue d'aviatrice : les nouvaux horizons de la féminité - Partie 1

Proposition de reconstitution d'une tenue d'aviatrice vers 1910.

Une nouvelle fois, la compagnie Eutrapelia m'a fait l'honneur de me confier la réalisation de certaines pièces de costume pour leur nouveau spectacle : Antoinette.

La pièce de cet ensemble qui a demandé le plus de recherches a été la culotte d'aviatrice. Je vous propose de détailler ici ces recherches.

La tenue d'une pionnière de l'aviation est particulière dans le sens où, par définition, elle s'inscrit dans un contexte où rien n'est encore standardisé ni uniformisé. Et c'est précisément là que résident à la fois la difficulté et l'intérêt de ce type de recherche.

Pour réaliser ce costume, nous nous sommes basées sur les photographies des tenues des premières aviatrices jusqu'au début de la première guerre mondiale. Cette dernière représentant potentiellement une fracture dans la mode et les mentalités. Les textes et coupures de journaux nous ont également fourni des indications précieuses pour compléter notre approche.

J'ai également été amenée à élargir les recherches sur d'autres types de vêtements féminins liés à des activités marginales (sport, travail), dans le but d'étudier les aménagements spécifiques qui ont souvent été créés et inventés par les femmes elles-mêmes.

J'ai scindé ces recherches en plusieurs parties :

Nous nous intéresserons en premier lieu à ces vêtements spécifiques ou marginaux de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Nous verrons comment les femmes ont adapté leurs tenues pour les nouvelles activités qui se développaient et comment elles ont composé avec une société peu ouverte à ces évolutions.

Nous étudierons ensuite les tenues spécifiques à l'aviation. En évoquant brièvement la manière dont les aviateurs se sont adapté aux contraintes que l'activité imposait et ensuite en étudiant le corpus de photographies d'aviatrices en tenue.

Nous insisterons dans un article sur l'impact et la place des pionnières de l'aviation dans les mouvement de libération du corps des femmes, en étudiant le cas d'Harriet Quimby.

Enfin, un dernier article sera consacré à la réalisation elle-même et aux choix que nous avons été amenées à faire.

Les vêtements utilitaires féminins à la fin du 19e siècle et début du 20e siècle.

Si des tenues adaptées à la chasse ou à certains travaux physiques existaient depuis plus longtemps, les vêtements rompant plus nettement avec la mode et la silhouette féminine sont apparus au cours du 19e siècle.

Un exemple extrêmement frappant de tenue de travail est celle portée par les femmes travaillant à la surface des exploitations de mines de charbon en Angleterre : les Wigan pit-grow girls qui portaient un pantalon long et droit recouvert d'une épaisse jupe/tablier dans les années 1860. Ces tenues dont l'image a été diffusée dans la société par des cartes postales ou des cartes de visites ont fait scandale dans l'Angleterre victorienne.

wigan-01.jpg

On peut penser également penser aux premières culottes adaptées à la pratique du sport comme cette tenue de l'équipe de basketball du Smith College du début du 20e siècle :

bloomers-04.jpg

Ou bien aux tenues adaptées au cyclisme. Pour cette activité, apparut au milieu du 19e siècle, les bloomers, du nom de leur inventrice, culottes bouffantes, d'abord surmontées d'une jupe courte.

Devenues plus populaires à la fin du 19e siècle ces tenues posaient néanmoins un problème aux femmes qui les portaient, en dehors de l'activité sportive elle-même, il restait inconvenant de porter ce qui s'apparente à un pantalon. Les lieux publics leur étaient alors interdits.

La cycliste Marie Tual en 1896.

C'est ainsi que des femmes se mirent à concevoir, dessiner, coudre et même déposer les brevets pour des tenues convertibles : de la culotte à la jupe et de la jupe à la culotte. Ce mouvement d’émancipation et d'appropriation à la fois d'un moyen de déplacement mais aussi de la mode, du savoir-faire et la prise en main de l'élaboration a été étudiée par une équipe d'historiennes, de sociologues et de costumières à travers le projet bikes & bloomers. velo-01.png Dépôt de brevet d'une culotte de cycliste par Pauline Hercht en 1896.

D'autres tenues adaptées aux activités physiques se développent autour de la jupe culotte. Au début du 20e siècle, elle consiste en un pantalon recouvert d'une jupe, toujours longue, plus ou moins fendue et éventuellement fermée (voire décorée) par des boutons. Les jupes de jour ou de promenade, même lorsqu'elles ne cachent pas une culotte portée en dessous, présentent également de plus en plus souvent des fentes, qui semblent facilité les mouvements.

En voici quelques exemples :

patins-01.jpg Patineuses vers 1911.

chasse-01.jpg Journal des Dames et des Modes, 1912, Costumes Parisiens, no. 22: Costume de chasse.

courses-01.jpg Carte postale vers 1912.
La question est posée ? La jupe-culotte présentée à la comédie Française et aux Courses d'Auteuil, a été trouvée ridicule, sera-t-elle malgré cela la mode de demain ? L'ingéniosité des couturiers, la grâce de nos Parisiennes sont bien capable de l'imposer. - « Qui vivra verra. » ND Phot.

promenade-01.jpg Deux femmes, Ohio, 1912.

Mais ces tenues de sports restaient inadéquates pour les conditions extrêmes du vol.

La première photographie de femme dans un avion date de 1908. Il ne s'agit pas d'une femme pilote mais de la première femme passagère d'un avion aux USA. Edith Berg, 7 Octobre 1908.

On le constate, cette tenue est loin de permettre de bouger et pratiquer des activités en toute liberté. L'histoire raconte qu'Edith Berg, assistant à une démonstration de vol au Mans, a improvisé ce système (qui permet d'éviter que le vent s'engouffre dans sa jupe) pour pouvoir voler quelques instant. La suite de cette histoire, serait que cet événement a inspiré la mode de la jupe entravée (qui porte bien son nom) dont Paul Poiret a revendiqué la paternité.

Entre l'improvisation d'une femme voulant voler et les tenues de soirée de Poiret, la mode de la jupe entravée a, semble-t-il, inspiré quelques plaisanteries, comme sur cette carte postale de 1911. jupe-entravee-01.jpg the hobble skirt - « What's that ? It's the speed-limite skirt ! »
La jupe entravée - « Qu'est-ce que c'est ? C'est la jupe limitation de vitesse ! »

On le voit, l'aviation s’accommode mal d'improvisation et le moindre écart dans l'habillement féminin engendre très vite caricatures et moqueries.

A suivre :Les tenues d'aviatrices d'après les photographies d'époque.

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